En cas de prix anormal, le pouvoir adjudicateur doit déterminer si le poste est négligeable ou non avant d’éventuellement déclarer l’offre irrégulière

Aux termes d’un arrêt du 22 août 2024, le Conseil d’Etat a été amené à se prononcer sur la validité d’une décision déclarant l’offre d’un soumissionnaire irrégulière en raison d’un prix anormal. Dans le cadre de son examen, le Conseil d’Etat a notamment relevé que le pouvoir adjudicateur avait omis de déterminer si le poste en question était négligeable ou non, ce qui aurait pu avoir une incidence sur la régularité de l’offre concernée. Cyrille Dony rappelle dès lors les principes et dispositions applicables s’agissant des postes négligeables et met en évidence les principaux enseignements de l’arrêt du 22 août 2024.

Conformément à l’article 84 de la loi du 17 juin 2016 relative aux marchés publics, le pouvoir adjudicateur a l’obligation de vérifier que les prix des offres introduites ne sont pas anormalement bas ou élevés, conformément aux modalités fixées par le Roi.

L’objectif de cette vérification est double : d’une part, protéger le pouvoir adjudicateur en s’assurant que les prix offerts par les soumissionnaires permettent réellement d’exécuter les obligations qui découlent du cahier spécial des charges et, d’autre part, préserver les conditions d’une saine concurrence[1].

Lorsqu’il existe une suspicion de prix anormal à l’issue de la vérification des prix prévue par les articles 33 et 35 de l’arrêté royal du 18 avril 2017 relatif à la passation des marchés publics dans les secteurs classiques, le pouvoir adjudicateur doit, en principe, procéder à un examen approfondi des prix conformément à l’article 36 en invitant les soumissionnaires concernés à justifier la normalité de leurs prix.

Lorsque le prix suspecté d’anormalité concerne un poste dit « négligeable », l’article 36, § 2, alinéa 5, de l’arrêté royal du 18 avril 2017 prévoit que « [l]e pouvoir adjudicateur n’est toutefois pas tenu de demander des justifications des prix de postes négligeables ».

S’il n’est donc pas tenu d’inviter un soumissionnaire à justifier les prix des postes négligeables qui semblent anormalement bas ou élevés, il convient cependant de préciser que le pouvoir adjudicateur ne peut se dispenser d’une vérification des prix offerts pour ces postes[2].

Par un arrêt n° 260.520 du 22 août 2024, le Conseil d’Etat a ainsi rappelé que « [l]’arrêté royal [du 18 avril 2017] n’impose toutefois aucun ordre à respecter dans les opérations à effectuer. Une demande de justification de prix ne signifie pas nécessairement que le poste concerné est considéré comme non négligeable. Ainsi, le pouvoir adjudicateur peut décider d’interroger un soumissionnaire sur tous postes des prix qui lui paraissent anormaux et ensuite vérifier si ces postes sont négligeables ou ne le sont pas »[3].

Aux termes de l’arrêt précité du 22 août 2024, le Conseil d’Etat a également estimé – et il s’agit là du principal enseignement de cet arrêt – que « la décision qui écarte une offre en raison du caractère anormal du prix d’un poste doit montrer que le pouvoir adjudicateur a vérifié si le poste en cause est négligeable ou non. La qualification du caractère négligeable ou non négligeable d’un poste sert de fondement à la décision d’écarter l’offre pour ce motif. Si cette qualification n’est pas indiquée dans l’acte, une étape du raisonnement du pouvoir adjudicateur n’est pas exprimée et la décision d’écartement est affectée d’un vice de motivation formelle ».

A notre sens, la position du Conseil d’Etat doit être mise en lien avec le rapport au Roi précédant l’arrêté royal du 18 avril 2017, lequel souligne que « [d]ans le cas où le pouvoir adjudicateur procéderait malgré tout à un examen des prix des postes négligeables dans le cadre de marchés qui contiennent par exemple plusieurs prix considérés comme anormaux et qu’il apparaîtrait que les prix constatés sont anormaux pour un nombre de postes négligeables très limité, l’offre pourrait toujours être considérée comme régulière ».

Dès lors que le rapport au Roi indique qu’une offre contenant plusieurs prix anormaux pour un nombre de postes négligeables très limité pourrait néanmoins être déclarée régulière, le Conseil d’Etat paraît considère qu’avant de pouvoir déclarer une offre irrégulière en raison du caractère anormal du prix d’un poste déterminé, le pouvoir adjudicateur doit déterminer, au préalable, si ce poste est négligeable ou non.

Suite à l’arrêt du Conseil d’Etat du 22 août 2024, deux enseignements nous semblent pouvoir être tirés :

    1. Exigence de vérification du caractère négligeable d’un poste avant l’écartement d’une offre

    L’arrêt établit que, pour écarter une offre en raison de l’anormalité d’un prix, le pouvoir adjudicateur doit d’abord déterminer si le poste concerné est négligeable ou non. Cette vérification devient donc une condition préalable et nécessaire à la décision de déclarer une offre irrégulière en raison d’un prix anormal.

    2. Importance de la motivation formelle

      Le Conseil d’Etat souligne également qu’un manquement dans la qualification du caractère négligeable d’un poste constitue un vice de motivation formelle.

      Les pouvoirs adjudicateurs veilleront ainsi (1) à déterminer si un poste pour lequel un prix anormal a été remis présente ou non un caractère anormal et (2) à motiver adéquatement leur décision avant de déclarer, le cas échéant, une offre irrégulière.

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      [1] C.E., arrêt n ° 250.490 du 30 avril 2021, SRL ESI INFORMATIQUE ; C.E., arrêt n° 251.639 du 28 septembre 2021, SRL ALAIN BORDET.

      [2] C.E., arrêt n° 260.020 du 5 juin 2024, SRL IMMO-PRO et SARL QBUILD.

      [3] C.E., arrêt n° 260.520 du 22 août 2024, SRL SAFE & SOUND.

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