Ententes entre soumissionnaires : quels éléments justifient l’écartement des offres ?
Rappel des faits
Dans le cadre d’un marché public portant sur des prestations de service hivernal sur les routes, un pouvoir adjudicateur a attribué le marché à un soumissionnaire présentant de nombreux liens avec un autre soumissionnaire ayant participé au même marché (même adresse, même adresse e-mail, gérant identique, signature des deux offres par la même personne, etc.).
Parmi les soumissionnaires non-retenus, l’un d’entre eux a ensuite saisi le Conseil d’Etat d’un recours en suspension d’extrême urgence afin de dénoncer l’entente entre l’adjudicataire et un autre soumissionnaire et, partant, de solliciter la suspension de l’exécution de la décision d’attribution.
Principes et dispositions applicables
Pour rappel, l’article 5, § 1er, alinéa 2, de la loi du 17 juin 2016 relative aux marchés publics prévoit que « [l]es opérateurs économiques ne posent aucun acte, ne concluent aucune convention ou entente de nature à fausser les conditions normales de la concurrence ».
S’agissant des entreprises liées entre elles, la Cour de justice de l’Union européenne a considéré, aux termes d’un arrêt C-531/16 du 17 mai 2018, que « le droit de l’Union, en particulier la directive 2014/18, ne prévoit pas d’interdiction générale, pour des entreprises liées entre elles, de présenter des offres dans une procédure de passation de marchés publics » mais qu’« en toute hypothèse, le principe d’égalité de traitement […] serait violé s’il était admis que les soumissionnaires liés puissent présenter des offres coordonnées ou concertées, à savoir non autonomes ni indépendantes, qui seraient susceptibles de leur procurer ainsi des avantages injustifiés au regard des autres soumissionnaires ».
Pour que le principe d’égalité soit violé, la Cour paraît considérer qu’il suffit d’établir que les liens entre les sociétés ont eu une influence sur le contenu de leurs offres sans qu’il soit requis que ces offres concertées aient été de nature à fausser la concurrence.
Décision du Conseil d’Etat
Aux termes de son arrêt n° 248.973 du 19 novembre 2020, le Conseil d’Etat rappelle que, pour que la violation de l’article 5, § 1er, alinéa 2, de la loi du 17 juin 2016 soit établie, il n’est pas requis de démontrer que les conditions normales de concurrence ont été faussées. Il convient, en revanche, de vérifier si le pouvoir adjudicateur a pu raisonnablement considérer que les liens entre les deux soumissionnaires concernés ont été sans influence sur le contenu des offres.
En l’espèce, le Conseil d’Etat a notamment observé ce qui suit :
– les deux offres ont été signées par la même personne ;
– les deux offres présentent un montant global différent mais, à bien y regarder, ces offres ne diffèrent, en réalité, que pour deux postes seulement sur seize.
Dans ces circonstances, le Conseil d’Etat a estimé que le pouvoir adjudicateur ne pouvait pas raisonnablement considérer que les liens entre les deux soumissionnaires ont été sans influence sur le contenu des offres.
Les deux offres auraient dès lors dû être écartées par le pouvoir adjudicateur pour violation de l’article 5, § 1er, alinéa 2, de la loi du 17 juin 2016 de sorte que le Conseil d’Etat a suspendu l’exécution de la décision d’attribution litigieuse.
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