Irrégularité d’une offre proposant un prix nul pour un poste non négligeable dont le coût est lissé sur d’autres postes

Lorsqu'un soumissionnaire propose un prix nul (0 euro) pour un poste non négligeable en indiquant que le prix de ce poste a été lissé sur d'autres postes de l'inventaire, son offre doit être déclarée irrégulière.

Rappel des faits

Dans le cadre du marché public relatif à des services de téléphonie fixe et mobile, un soumissionnaire a remis un prix nul (0 euro) pour le poste concernant la transition à organiser en début de marché en vue de s’approprier les accès aux infrastructures et équipements existants.

L’offre du soumissionnaire en question a toutefois été déclarée nulle pour cause d’irrégularité substantielle au motif qu’un prix nul empêche la comparaison des offres. Le soumissionnaire concerné a dès lors saisi le Conseil d’Etat d’une demande en suspension d’extrême urgence afin de contester la décision motivée d’attribution.

Décision du Conseil d’Etat

S’agissant du poste relatif à la transition à l’entrée du marché, il convient d’observer que le cahier spécial des charges indiquait explicitement que les soumissionnaires devaient présenter des frais forfaitaires unique(s) en vue de s’approprier les accès aux infrastructures et équipements téléphoniques fixes et mobiles du pouvoir adjudicateur, ce que le soumissionnaire en cause n’a cependant pas fait en présentant des coûts de transition de 0 euro.

Afin de justifier ce prix nul, ce soumissionnaire a indiqué que l’actuel prestataire ne pouvait avoir les mêmes coûts de transition qu’un concurrent qui n’est pas en place de sorte que la comparaison serait impossible entre les offres ou ne se ferait qu’au détriment des nouveaux soumissionnaires. Par voie de conséquence, le soumissionnaire a estimé qu’il faudrait nécessairement faire abstraction des coûts de transition dans l’évaluation de toutes les offres.

Suite à plusieurs demandes de justification de ses prix, le soumissionnaire concerné a finalement communiqué un coût de transition de 189.915 euros en précisant que le pouvoir adjudicateur était déjà en possession de toutes les données nécessaires pour contrôler le prix qu’elle proposait dans son offre ; données qui devaient lui permettre de comprendre que le coût de transition avait été lissé sur les différents postes de l’inventaire et que le prix de 0 euro était uniquement indiqué pour faciliter l’égalité entre les soumissionnaires.

Par son arrêt n° 252.543 du 23 décembre 2021, le Conseil d’Etat a estimé que le pouvoir adjudicateur pouvait écarter l’offre du soumissionnaire en question pour cause d’irrégularité dès lors que celle-ci n’indiquait aucun prix pour le poste relatif à la transition, conformément à l’article 86, § 2, de l’arrêté royal du 18 avril 2017 relatif à la passation des marchés publics dans les secteurs classiques. Le fait que le soumissionnaire ait finalement attribué un prix pour ce poste à la suite de demandes de justification n’y changeant rien dans la mesure où, comme l’a relevé le Conseil d’Etat, cette attitude a entrainé une modification de son offre.

Le Conseil d’Etat a considéré que le pouvoir adjudicateur pouvait aussi faire usage de l’article 36, § 3, de l’arrêté royal du 18 avril 2017 et écarter l’offre du soumissionnaire en raison de son irrégularité substantielle, après avoir constaté que le montant du poste relatif à la transition (0 euro) – considéré comme un poste non négligeable – présentait un caractère anormal.

De plus, le Conseil d’Etat a rappelé que la pratique qui consiste à lisser le prix d’un poste sur les différents postes de l’inventaire peut être considérée comme rendant impossible la comparaison des offres et être qualifiée d’irrégularité substantielle en application de l’article 76, § 1er, de l’arrêté royal du 18 avril 2017 selon lequel est substantielle l’irrégularité de nature à empêcher l’évaluation de l’offre du soumissionnaire ou la comparaison de celle-ci aux autres offres.

En ce qui concerne le prestataire en place, celui-ci a également proposé un prix de 0 euro pour le poste relatif à la transition en précisant toutefois qu’en tant opérateur actuel et rencontrant déjà la totalité des besoins décrits dans le cahier spécial des charges, aucun frais de transition ne devrait être exposé. Cette justification a été admise par le pouvoir adjudicateur qui a ainsi estimé que le prix de 0 euro proposé pour le poste relatif à la transition n’était pas anormal et que, partant, l’offre devait être qualifiée de régulière. Le Conseil d’Etat a considéré que le pouvoir adjudicateur avait valablement pu estimer que les justifications apportées par l’opérateur actuel étaient satisfaisantes dans la mesure où celui-ci se trouvait dans une situation différente de celle d’un nouveau prestataire.

 Au vu de ce qui précède, la demande de suspension d’extrême urgence a été rejetée par le Conseil d’Etat.

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