Lors de la vérification des prix, un soumissionnaire ne peut modifier ses prix
Rappel des faits
Suite à l’attribution d’un marché public de services, un soumissionnaire a saisi le Conseil d’Etat d’une demande en suspension d’extrême urgence en critiquant notamment le fait que l’adjudicataire ait été autorisé à modifier ses prix lors de la vérification des prix effectuée par le pouvoir adjudicateur.
Principes et dispositions applicables
Avant de procéder à la vérification des prix, le pouvoir adjudicateur rectifie les offres en fonction des erreurs dans les opérations arithmétiques ainsi que des erreurs purement matérielles relevées par lui ou par un soumissionnaire dans les documents du marché, conformément à l’article 34 de l’arrêté royal du 18 avril 2017 relatif à la passation des marchés publics dans les secteurs classiques.
Sur la base des articles 33 et 35 de l’arrêté royal du 18 avril 2017, le pouvoir adjudicateur a ensuite l’obligation de procéder à une vérification concrète des prix ou coûts des offres introduites afin de s’assurer que le prix proposé peut garantir une exécution du marché conforme aux exigences édictées par les documents du marché et aux prestations proposées par les soumissionnaires.
Lorsqu’il existe une suspicion de prix anormal à l’issue de la vérification des prix, le pouvoir adjudicateur est tenu procéder à un examen des prix et des coûts conformément à l’article 36 de l’arrêté royal du 18 avril 2017 relatif à la passation des marchés publics dans les secteurs classiques.
L’article 36 de l’arrêté royal précité prévoit, entre autres, ce qui suit :
« § 1er. Lorsque les prix ou les coûts semblent anormalement bas ou élevés lors de la vérification des prix ou des coûts effectuée conformément à l’article 35, le pouvoir adjudicateur procède à un examen de ces derniers. Lorsqu’il est fait usage de la procédure concurrentielle avec négociation, la procédure négociée directe avec publication préalable et la procédure négociée sans publication préalable, l’examen se fait sur la base des dernières offres introduites, ce qui n’empêche nullement que le pouvoir adjudicateur puisse déjà procéder à cet examen à un stade antérieur de la procédure.
§ 2. Lors de l’examen des prix ou des coûts, le pouvoir adjudicateur invite le soumissionnaire à fournir les justifications écrites nécessaires relatives à la composition du prix ou du coût considéré comme anormal dans un délai de douze jours, à moins que l’invitation ne détermine un délai plus long. Lorsqu’il est fait usage de la procédure négociée sans publication préalable, le pouvoir adjudicateur peut prévoir un délai plus court dans les documents du marché, moyennant une disposition expressément motivée.
La charge de la preuve de l’envoi des justifications incombe au soumissionnaire.
Les justifications concernent notamment :
1° l’économie du procédé de construction, du procédé de fabrication des produits ou de la prestation des services ;
2° les solutions techniques choisies ou les conditions exceptionnellement favorables dont dispose le soumissionnaire pour exécuter les travaux, pour fournir les produits ou les services ;
3° l’originalité des travaux, des fournitures ou des services proposés par le soumissionnaire ;
4° l’obtention éventuelle par le soumissionnaire d’une aide publique octroyée légalement.
Lors de l’examen des prix ou des coûts visé à l’alinéa 1er, le pouvoir adjudicateur invite le soumissionnaire à fournir des justifications écrites concernant le respect des obligations visées à l’article 7, alinéa 1er, de la loi, applicables dans les domaines du droit environnemental, social et du travail en ce compris les obligations applicables en matière de bien-être, de salaires et de sécurité sociale.
Le pouvoir adjudicateur n’est toutefois pas tenu de demander des justifications des prix de postes négligeables.Si nécessaire, le pouvoir adjudicateur interroge à nouveau le soumissionnaire par écrit. Dans ce cas, le délai de douze jours peut être réduit.
[…]
§ 3. Le pouvoir adjudicateur apprécie les justifications reçues et :
1° soit constate que le montant d’un ou de plusieurs poste(s) non négligeable(s) présente(nt) un caractère anormal et écarte l’offre en raison de l’irrégularité substantielle dont elle est entachée ;
2° soit constate que le montant total de l’offre présente un caractère anormal et écarte l’offre en raison de l’irrégularité substantielle dont elle est entachée ;
3° soit motive dans la décision d’attribution que le montant total de l’offre ne présente pas de caractère anormal.
Le pouvoir adjudicateur écarte également l’offre s’il établit que son montant total est anormalement bas parce qu’elle contrevient aux obligations en matière de droit environnemental, social ou du travail, visées à l’article 7, alinéa 1er, de la loi et ce, en raison de l’irrégularité substantielle dont elle est entachée. Lorsque l’offre contrevient aux obligations applicables dans le domaine du droit social fédéral ou du droit du travail fédéral, le pouvoir adjudicateur le communique conformément au paragraphe 5, alinéa 2.
[…] ».
Lorsqu’un soumissionnaire est interrogé par rapport au caractère anormal de ses prix, celui doit apporter une réponse adéquate, suffisamment précise, concrète et soigneusement étayée, bien qu’il soit autorisé à fournir des données autres que chiffrées. N’est dès lors pas suffisante la justification vague, imprécise ou qui consiste en une simple confirmation du prix.
Le pouvoir adjudicateur examine ensuite les justifications apportées par le soumissionnaire concerné en disposant, à cet égard, d’un large pouvoir d’appréciation. Le pouvoir adjudicateur doit néanmoins apprécier la précision, l’exactitude et la pertinence des justifications.
Si, après analyse de la justification fournie par un soumissionnaire, le pouvoir adjudicateur déclare l’offre irrégulière parce qu’elle comporte des prix anormalement hauts ou bas, la décision doit faire l’objet d’une motivation précise qui doit permettre, d’une part, de vérifier que le pouvoir adjudicateur a analysé avec soin les justifications invoquées et, d’autre part, de comprendre les raisons pour lesquelles il n’a pas admis ces justifications.
Décision du Conseil d’Etat
Dans le cadre du marché public en cause, le pouvoir adjudicateur a invité plusieurs soumissionnaires à expliquer, justifier et confirmer les prix unitaires de plusieurs postes suspectés d’anormalité, en application de l’article 36, §§ 1er et 2, de l’arrêté royal du 18 avril 2017.
Lors de la justification de ses prix unitaires, l’un des soumissionnaires a maintenu certains prix et en a modifié d’autres, ce qui a été accepté par le pouvoir adjudicateur qui a ensuite déclaré l’offre régulière. Le pouvoir adjudicateur a ainsi estimé que ces modifications s’inscrivaient dans le cadre de la rectification des erreurs arithmétiques des offres, effectuée sur la base de l’article 34, § 2, de l’arrêté royal du 18 avril 2017.
Aux termes de son arrêt n° 255.561 du 24 janvier 2023, le Conseil d’Etat a rappelé que l’article 33 de l’arrêté royal du 18 avril 2017 prévoit la séquence suivante pour les opérations liées à la correction des erreurs et à la vérification des prix :
– correction des offres (art. 34) ;
– vérification générale des prix et des coûts (art. 35) ;
– examen des prix et des coûts (art.36).
En l’espèce, la modification de certains prix unitaires ne s’inscrivait pas dans le cadre de la correction des erreurs arithmétiques ou des erreurs matérielles mais, au contraire, dans le cadre de la vérification des prix.
A cet égard, le Conseil d’Etat a rappelé que l’article 36, § 3, de l’arrêté royal du 18 avril 2017 prévoit que, lors de la vérification des prix, le pouvoir adjudicateur doit apprécier les justifications reçues et peut ensuite prendre l’une des décisions suivantes :
– constater que le prix d’un ou plusieurs poste(s) non négligeable(s) ou que le montant total de l’offre présente(nt) un caractère anormal et écarter l’offre en raison de l’irrégularité substantielle dont elle est entachée ;
– considérer que le montant total de l’offre n’est pas anormal.
Cette disposition ne prévoit donc pas la possibilité de modifier les prix d’un soumissionnaire puis de déclarer l’offre régulière sur la base des prix modifiés.
En acceptant la modification des prix d’un soumissionnaire dans le cadre de la vérification des prix, le Conseil d’Etat a donc considéré que le pouvoir adjudicateur avait violé l’article 36, § 3, de l’arrêté royal du 18 avril 2017 de sorte que l’exécution de la décision d’attribution du marché public en cause a été suspendue.
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